Thursday, January 9, 2020

Hans-Ulrich Wehler — Das Deutsche Kaiserreich 1871-1918

Hans-Ulrich Wehler — The German Empire 1871-1918 (trad. Kim Traynor), Leamington Spa UK: 1985.

Un livre très intéressant que j'ai lu parce qu'Emmanuel Todd en a parlé à la télé. La thèse de Wehler est que le deuxième empire Allemand était une sorte de construction conservatrice par laquelle les classes dirigeantes traditionnelles (principalement les Junkers, grands propriétaires féodaux) s'efforçait par tous les moyens idéologiques et matériels possibles de maintenir leur domination. Ils devaient faire face à une bourgeoisie capitaliste/industrielle montante et aussi avec le mouvement ouvrier et le parti socialiste allemand (SPD). Pour se maintenir au pouvoir, Bismarck s'est assuré que seuls des gens alignés sur l'idéologie des dominants puissent devenir fonctionnaires, ou avoir des postes à l'université. Dans celles-ci, il y avait des clubs de duels, qui colportaient les habitus et les valeurs de la noblesse, et y acculturait les bourgeois, qui étaient ainsi un peu plus acquis aux normes de la noblesse et au statut quo.

Wehler explique que l'agressivité impérialiste/colonialiste de l'Allemagne avait principalement pour but de régler des problèmes politiques internes: comment distraire les classes dominées par la mobilisation guerrière, le nationalisme et le chauvinisme, afin de ne rien changer à un système politique suranné — afin de ne pas démocratiser le pays, ou alors seulement d'une manière entièrement cosmétique.

De même l'antisémitisme existait dans la société allemande, mais a été sciemment instrumentalisé par Bismarck pour donner un bouc émissaire au mécontentements. Ces mécontentements sont nombreux, puisque à partir de 1873, il y a plusieurs récessions sérieuses. La grande industrie, bien que moins favorisée que les intérêts agraires, est tout de même accommodée par le régime — et c'est le SPD et les syndicats qui son réprimés et inaudibles, bien que prenant toujours plus d'empleur en terme de participation dans la population. Mais en fait tous les partis politiques sont impuissants — parti libéral, parti du centre (catholique), parti conservateur, car ce qui se maintient jusqu'à la fin, c'est un régime autoritaire, maintenu par l'armée (surtout Prussienne) dont le haut commandement est presque exclusivement composé de nobles.

L'Allemagne prend le risque de déclencher la Première Guerre Mondiale parce que ses dirigeants préféraient ça à l'alternative, qui était de faire évoluer leur système politique: seul dans un environnement de guerre victorieuse (comme celle de 1870-71 avec la France) est-ce qu'ils pensaient pouvoir tenir le peuple, dont des groupes de plus en plus grands menaçaient de s'émanciper. La république de Weimar n'a pas su se débarrasser de la gangue institutionnelle et idéologique de l'empire, et Hitler n'a eu qu'à récolter des éléments (agressivité expansionniste, autoritarisme militaire, antisémitisme, plan d'établir un "espace vital" en Europe centrale au dépend de la Russie...) qui étaient déjà dans l'air du temps à la fin de l'empire.

La révolution qui à mis a bas l'empire, n'a pas pu aller jusqu'au bout, faute de désir réel de changer les choses des partis — qui avaient l'idée qu'il fallait un consensus. (Et aussi, dirait Emmanuel Todd, la préférence Allemande, de famille souche, pour les configurations étatiques/institutionnelles autoritaires.)

Ce que Wehler semble montrer, c'est que l'Allemagne n'a jamais accouché de la démocratie endogènement, mais qu'elle a été forcé par les Américains de se démocratiser après la Seconde Guerre Mondiale. Ce qui va dans le sens de Todd, qui fait remarquer que l'Europe autoritaire et anti-démocratique d'aujourd'hui, sous contrôle allemand, n'est qu'une réversion à la norme, maintenant que l'influence directe des Américains s'est atténuée.

Le livre est très frappant aujourd'hui, période où les peuples semblent subir des élites politiques et économiques particulièrement irresponsables... Mais en fait c'est juste comme d'habitude, les salauds et les imbéciles irresponsables aux commandes.

Il y a aussi autre chose: cette situation où nous nous trouvons maintenant, où on arrive pas à imaginer l'avenir. C'était ça le problème des classes dirigeantes allemandes — elles étaient juste attachées à préserver contre vents et marées le statut quo, mais en fait sans projet positif, sans idée vers où la société pouvait/devait avancer. Des égoïstes à la dérive dans l'histoire, comme maintenant, se laissant porter par les courants de la conjoncture vers le désastre par bêtise, vanité, âpreté, bassesse, et surtout manque d'imagination.

No comments:

Post a Comment